Entretien avec Chloé Dufresne, cheffe d'orchestre

"L’Élixir d’amour est le premier Donizetti que je dirige moi-même."


L’Élixir d’amour est le premier opéra de Donizetti que dirige la jeune cheffe Chloé Dufresne, au début de carrière fulgurant. Après des études de direction en Finlande, où l’enseignement est fondé sur la liberté et la recherche, elle remporte de nombreux concours, notamment à Besançon et à Manchester, qui la révèleront au plus grand nombre. Rencontre avec une artiste pour qui les premières qualités sont avant tout l’écoute et l’empathie.

 

Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?


J’ai commencé par faire de l’alto au conser­vatoire à Montpellier et j’étais dans les chœurs d’enfants à l’Opéra. C’est justement l’opéra qui m’a donné envie de continuer la musique. Après mes années de direction d’orchestre à l’École normale de musique de Paris, je suis entrée à la Sibelius Academy en Finlande. J’ai fait pas mal de concours depuis, ce qui m’a permis de me faire connaître. 

 

Vous aimez l’opéra… Quel est votre rap­port au bel canto ?


J’en ai beaucoup chanté et écouté, c’est un répertoire qui m’est familier. L’Élixir d’amour est le premier Donizetti que je dirige moi-même. C’est une nouvelle pro­duction, je vais donc passer de longs moments avec le metteur en scène et les chanteurs. Avoir le temps de rencontrer les gens en profondeur est très précieux. Sur L’Élixir, on a une double distribution, italienne et française, et des person­nalités très différentes : c’est intéressant de voir comment chacun s’approprie le personnage en fonction de la mise en scène. Et même vocalement, car il y a plein de libertés dans les partitions – dans les cadences par exemple.

 

Quelle est la particularité de l’enseignement en Finlande ?


C’est l’école de la liberté. L’originalité en Finlande est que les professeurs ne montrent pas l’exemple. On ne nous dit pas comment jouer telle ou telle musique, ce qui est peu courant en France. On s’interroge plutôt sur ce que l’on veut entendre et ce que l’on veut obtenir. On part de l’élève pour l’aider à se développer par lui-même. Cela peut être déstabilisant au début, mais c’est une vraie clé pour la suite. Une autre particularité finlandaise est que l’on dirige l’orchestre deux fois par semaine, ce qui nous permet de beaucoup pratiquer. 

 

On parle beaucoup des femmes cheffes d’orchestre. Aujourd’hui est-ce encore dif­ficile de ne pas être un homme dans le milieu de la direction ?


Le but n’est pas de comparer, chaque car­rière est unique. En ce moment, il y a une volonté politique qui donne plus de visibilité aux femmes. Pour la génération qui arrive sur le marché, c’est sans doute plus facile, en effet. Mais ce système de visibilisation peut fausser le jeu des chiffres concrets et durables. Il y a eu un vrai renouvellement de l’orchestre en France. Les musiciens sont jeunes, ils ont déjà vu des femmes cheffes au cours de leurs études. On représente au moins le tiers d’une classe de direction. L’équilibre commence à se faire. Je me suis exprimée sur la question à de nombreuses reprises, c’est important d’en parler, mais il me semble que la musique doit reprendre sa place dans les interviews des cheffes.

 

Quelles sont les qualités d’un chef ?


On n’a plus du tout l’image du chef autoritaire, maintenant ce sont des qualités de leader. Dans la société et l’enseignement finlandais, il y a un côté très horizontal et très collaboratif. Il ne faut pas oublier que les instrumentistes sont tous d’un excellent niveau, on n’a rien à leur apprendre. Les qualités premières du chef sont pour moi des qualités humaines, comme l’empathie et l’écoute – même si avoir une bonne oreille, une vision de l’œuvre sont des choses évidemment très importantes. Je suis arrivée assez tard dans le milieu de la direction d’orchestre et je me suis créé mon propre matériel gestuel avant d’observer les autres. Ce sont surtout les chefs que j’ai rencontrés en Finlande qui m’ont inspirée : Hannu Lintu, Susanna Mälki, et Sakari Oramo, mon mentor.  


Propos recueillis par Charlotte Landru-Chandès (2022)

Angers Nantes Opéra