Présentation de "Romances Inciertos, un autre Orlando"


Infinies mutations


C’est à la fois un concert et un spectacle, qui s’articule en trois actes comme un souvenir d’opéra-ballet. Journaliste et auteure, Pascaline Vallée nous livre quelques clés pour mieux comprendre Romances inciertos.


Les grands personnages de l’art sont immortels. Leurs histoires ont été inventées en des temps immémoriaux et transmises oralement sous de multiples versions ou fixées par des artistes de génie. Depuis, elles ne cessent de ressurgir, par clins d’œil ou citations franches, dans des œuvres de tous les domaines. La pièce Romances inciertos est elle aussi traversée d’influences et de réinterprétations. Au-delà des récits, la partition chorégraphique puise dans des traditions variées : les pointes de la danse classique s’allient à des cambrures dignes des plus souples flamencas, tandis que les costumes aux couleurs chatoyantes actualisent la culture espagnole, le tout formant un ensemble puissant, résolument contemporain.


À la mutation des héroïnes répond celle des motifs musicaux. La création de Romances inciertos est précédée d’importantes recherches dans la culture espagnole. Artiste multiple, ici à la direction musicale, Nino Laisné s’est immergé dans les multiples déclinaisons des mélodies populaires, dont les premières apparitions datent souvent des XVIe et XVIIe siècles, pour opérer à son tour emprunts et glissements. Tango, zambra, musiques aux intonations baroques et vers se succèdent, portés par les quatre musiciens présents sur scène.

La culture est à la fois divisée (en arts, en époques, en esthétiques) et semblable à un fleuve où se mêleraient toutes les eaux sans distinction. La référence à Orlando présente dans le sous-titre de la pièce illustre bien cette idée. Comme dans le roman de Virginia Woolf, le personnage central s’absente, revient sous d’autres traits, brouillant les frontières entre les époques et entre les genres. 



Au-delà du genre


Un homme interprète une femme déguisée en homme : dès le début de la pièce, la question de l’identité sexuelle s’impose au public. Par leurs vêtements ou leurs attitudes, les trois personnages transgressent l’aspect binaire du genre pour forger leur personnalité unique. À leur suite, François Chaignaud mêle indifféremment les gestes attribués aux femmes ou aux hommes. Il ne s’agit pas ici d’emprunter mais plutôt de dégenrer et de voir autrement les catégorisations habituelles. Depuis longtemps inspiré par le voguing, danse née aux États-Unis dans les communautés gay afro-descendantes, ou par les grandes figures du cabaret, le chorégraphe puise dans tous les registres pour construire sa propre esthétique. Ainsi, les pointes comme les talons dont il se chausse sont pour lui non pas des attributs féminins mais autant de manières d’évoquer la fragilité de l’équilibre et l’action de s’élever.


Car, au-delà de leur identité trouble, c’est l’idéalisme qui définit ces trois personnages. Tous cherchent à sortir de leur condition, à atteindre quelque chose de plus grand que leur seule personne, que ce soit l’héroïsme du combat, l’élévation de la foi ou le transport de l’amour. L’ensemble tissé par François Chaignaud et Nino Laisné montre également que le décloisonnement des genres, comme celui des champs artistiques, est déjà riche d’une longue histoire.  


Texte de Pascaline Vallée (2023) 

Angers Nantes Opéra