Entretien avec Damien Guillon, directeur musical


Après son spectacle intimiste Dreams, où Damien Guillon dialoguait avec un danseur acrobate, il revient pour la nouvelle saison de Baroque en scène dans le rôle de chef d’orchestre avec la Passion selon saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach. Un beau projet pour fêter les quinze ans de son ensemble Le Banquet Céleste.


Votre ensemble est en résidence à Rennes. Quel est votre attachement à la Bretagne ?


Damien Guillon : Je suis né à Rennes et ai commencé la musique à la Maîtrise de Bretagne. J’ai souhaité rendre hommage à ma région lorsque j’ai créé Le Banquet Céleste, en lui donnant le nom d’un recueil de motets du maître de chapelle de Vannes au XVIIe siècle, Daniel Danielis. Fondé en 2009, l’ensemble est  depuis 2016 en résidence à l’Opéra de Rennes, alors sous la direction d’Alain Surrans. Il reste attentif à nos propositions et fut très réceptif au choix de la Passion selon saint Matthieu pour les 15 ans de l’ensemble. Associer les musiciens du Banquet Céleste au chœur de chambre Mélisme(s), un de nos partenaires fidèles, s’inscrit dans une certaine continuité.


Vos programmes explorent l’Europe de la Renaissance et du baroque, mais un compositeur revient régulièrement, Jean-Sébastien Bach. Pourquoi ?


Bach est une figure centrale dans ma vie de musicien. À l’âge de dix ans, j’ai chanté pour la première fois la Passion selon saint Jean puis très régulièrement depuis, comme soliste invité. Bach accompagne Le Banquet Céleste depuis toujours. Nous nous sommes tout d’abord consacrés à ses cantates, à travers différents cycles de concerts et d’enregistrements comme Trinitatis, trois cantates du temps de la Trinité ; puis plus récemment à ses grands Oratorios et Passions.


Peut-on parler de monument musical pour cette œuvre ? Quelles sont ses particularités, ses difficultés ?


C’est un vrai monument musical, tant par sa puissance expressive que par son architecture, faisant appel à un double chœur et double orchestre, effectif rare à l’époque. L’un des défis est d’être attentif à la lisibilité du discours musical au sein de cette formation très fournie pour l’époque. La notion de dialogue entre les deux chœurs, les deux orchestres et les solistes est au cœur de l’écriture musicale du compositeur, dans un échange au service de la dramaturgie du livret. Le librettiste Picander s’inspire de l’Évangile selon saint Matthieu. Il le poétise tout en restant proche du texte liturgique.

La Passion est construite avec des chœurs, récitatifs, airs et chorals à l’image de ses cantates. Les chorals institués par Luther et harmonisés par Bach, l’inscrivent dans le culte luthérien. À l’écoute de ces chorals, les fidèles savaient exactement à quels textes ils faisaient référence. Mon rôle de chef d’orchestre dans cette Passion est de veiller aux équilibres entre tous les instrumentistes, les solistes et chœurs, à l’intensité du dialogue entre ces formations, et de donner un rythme au déroulement de l’action afin d’en révéler l’intensité dramatique.


Après avoir chanté la Passion selon saint Matthieu, vous passez à la direction. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?


Les rôles de chanteur soliste et de chef d’orchestre sont tout à fait différents. En tant que chanteur, mon rôle est d’être le mieux préparé possible pour exprimer à travers ma voix le message et les affects voulus par le compositeur. En tant que chef, je dois minutieusement étudier l’ensemble de la partition, en connaitre sa construction, comprendre pourquoi le compositeur choisit d’écrire chaque mouvement comme il le fait. C’est là que se situe le travail d’interprétation, essayer de comprendre les volontés, l’imaginaire du compositeur. Cela nécessite beaucoup de préparation pour ensuite transmettre cette réflexion aux musiciens, les guider dans cette aventure musicale et partager enfin notre « interprétation » de l’œuvre au public. 



Entretien réalisé par Elisabeth Baconnais (2023)

Angers Nantes Opéra