Entretien avec Éric Chevalier, metteur en scène

« Le public ne peut qu’être sensible à cette vérité dramaturgique, à ces personnages si bien dessinés, à cette musique si expressive et sincère. »


En 1988, à l’Opéra de Nantes, était créé un conte musical de Marcel Landowski : La Vieille Maison. Trente-cinq ans plus tard, Angers Nantes Opéra reprend cet ouvrage méconnu, véritable plongée dans l’onirisme enfantin, ainsi que nous le dévoile le metteur en scène Éric Chevalier.


Mort en 1999, Marcel Landowski est encore, à bien des égards, et malgré ses contributions multiples et variées à la scène musicale française, relégué au purgatoire où les créateurs attendent que la postérité enfin leur rende justice.


Éric Chevalier : Tout à fait. Et c’est bien dommage, comme en témoigne cette Vieille Maison qui est indéniablement une réussite. C’était un homme qui accordait une très grande attention au domaine du sensible, et cette création ne fait pas exception. Dans toute son œuvre, qu’elle soit musicale ou institutionnelle, Landowski a mis l’accent sur une forme très généreuse d’humanisme, mais là, il va plus loin encore, explorant cette relation essentielle que, toute notre vie, nous entretenons avec notre enfance et le trésor caché qu’elle porte en elle. C’est ce que symbolise pour moi la « vieille maison ».

 

De quelle manière ?


La Vieille Maison est l’image du bonheur recherché. Elle est ce fantasme que nous portons tous en nous, dans un coin de notre tête, inscrit parfois très profondément dans notre mémoire, sinon dans nos gènes, ce lieu particulier qui n’appartient qu’à nous-mêmes. 

Pour chacun de nous, savoir qu’elle existe toujours – et qu’elle existera peut-être encore après notre départ – est essentiel. Je pense ici à tous ces gens qui, aujourd’hui, vivent la guerre et voient absolument tout dispa­raître, à commencer par leurs « vieilles maisons » : c’est un traumatisme très profond. Car si l’on a la possibilité de reconstruire, même à l’identique, ça ne sera jamais pareil.

 

La sensibilisation des plus jeunes à la musique a été l’un des chantiers de cœur du compositeur. Comment cela se manifeste-t-il ici ?


Il ne cherche pas à se mettre à la portée de son public. C’est plutôt l’inverse : il écrit une musique contemporaine authentique, sans concession, et y fait venir le public. Celui-ci ne peut qu’être sensible à cette vérité dramaturgique, à ces personnages si bien dessinés, à cette musique si expressive et sincère.

C’est d’autant plus intéressant de rejouer cet ouvrage trente-cinq ans plus tard, et de constater la justesse de sa vision, encore aujourd’hui. Pour moi, cette production a un goût très surprenant de nostalgie car je connais bien quelques-unes des personnalités qui ont participé à sa création en 1988, dont certaines sont hélas décédées depuis. Je reviens donc vers un théâtre que j’aime et vers un ouvrage qui appartient d’une certaine manière à mes jeunes années : peut-être suis-je moi-même à la recherche de ma « vieille maison », à laquelle je n’ai plus accès – même si je sais qu’elle est encore debout.

 

Le style de la partition et le thème de ce conte musical peuvent parfois évoquer le précédent de L’Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel, à la différence que le ton est ici très sombre.


Oui. Dans L’Enfant et les Sortilèges, il y a beaucoup d’humour (absent de l’œuvre de Landowski) et les animaux finissent par pardonner à l’enfant sa méchanceté. Ici, rien de tout cela : l’enfant est irrésistiblement entraîné vers l’abîme, vers le mensonge, vers le meurtre.

Si l’on est bien dans le domaine du rêve  –  celui de Marc, le petit garçon héros de l’histoire –, celui-ci tourne bien vite au cauchemar, voire aux terreurs nocturnes. L’angoisse est palpable. Ça pourrait très mal se terminer. À cet égard, l’image de l’oni­risme enfantin que donne Landowski se rapproche davantage des Contes d’Hoffmann.

Les personnages qui peuplent ce rêve sont tout à fait étranges, on s’attendrait à voir un monstre surgir de dessous le lit. 

Bref, comme dans les contes traditionnels, les ressorts psychanalytiques sous-jacents sont nombreux.

 

Comment mettre en scène cet univers onirique ?


Nous sommes dans la chambre de Marc, une chambre d’enfant qui, la nuit, s’anime : les marionnettes se mettent à jouer dans le castelet, les jouets prennent vie et participent aux rêves. Le plus important est de mettre l’accent sur la fluidité – comme dans un rêve, où les éléments les plus incohérents doivent pouvoir s’enchaîner le plus naturellement du monde.  


Propos recueillis par Jérémie Szpirglas (2022) 

Angers Nantes Opéra