Entretien avec Jean Lacornerie, metteur en scène


Après avoir assisté en 2020 à l’étourdissante comédie musicale The Pajama Game, où les chanteurs étaient en même temps acteurs et musiciens, le public d’Angers Nantes Opéra va retrouver l’univers poétique de Jean Lacornerie, en découvrant enfin sur scène sa vision de La Chauve-Souris: une rencontre inventive et surprenante entre les mots, le chant et le jeu, dans un réjouissant travail de troupe.


Que raconte pour vous La Chauve-Souris et à quoi êtes-vous particulièrement sensible dans cet ouvrage ?


Jean Lacornerie : Cette opérette raconte de façon joyeuse et nostalgique le plaisir de se perdre dans la fête, la musique entraînant de banales situations de vaudeville vers le rêve, le fantastique ou le cauchemar. Cette traversée onirique est belle, son point culminant restant pour moi la scène où tous les convives d’Orlofsky chantent ensemble, atteignant une fraternité éphémère dans un temps qui s’étire.


Quelles ont été vos priorités en montant ce spectacle ?


J’ai avant tout le souci que l’on comprenne l’histoire, que l’on a rendue plus claire par la présence d’une narratrice conduisant le récit sans se perdre dans les détails. Nous nous sommes également efforcés de développer la narration de façon poétique en créant un arrière-plan mystérieux, afin d’éviter que cet hymne à la fête ne soit trop trivial. La rêverie peut ainsi conduire certaines figures vers un ailleurs, telle la ballerine qui, se démultipliant, soulève à certains moments la question du genre.


Ce spectacle a été créé pendant la pandémie, et diffusé sur écrans en juin 2021. Allez-vous y apporter des modifications ?


Ce spectacle n’a pas été conçu pour une captation mais pour le public, qui reste un partenaire essentiel. Nous allons certainement faire quelques retouches, notamment à la fin. Il y a en effet une tradition de l’opérette permettant de faire allusion à l’actualité, la situation sanitaire de l’époque de cette vidéo expliquant avec dérision l’absence de l’acteur jouant Frosch, mais nous trouverons d’autres résonances pour cette scène de la prison.


Comment présenteriez-vous la scéno­graphie et les costumes de Bruno de Lavenère ?


Il s’agit au départ d’un pêle-mêle de photos s’ouvrant comme un livre, où l’on découvre la bonne société viennoise de l’époque de Johann Strauss. Nous n’avons pas cherché à transposer l’action, la multiplication de petits cadres fragmentant l’histoire. La fête chez le prince Orlofsky est représentée à travers des rideaux dorés à plusieurs niveaux et un grand escalier de music-hall, tandis que le dénouement, où des captifs se ligotent réciproquement de façon comique, s’inspire des prisons imaginaires de Piranèse. L’essentiel pour les costumes est de ne pas empêcher le jeu mais de favoriser une liberté de mouvement.


Que représente pour vous cette maîtresse de cérémonie que vous avez inventée pour la comédienne Anne Girouard, à la fois narratrice et interprète de tous les rôles en français ?


Sa présence permet un décalage entre le jeu et les voix d’interprètes n’étant pas francophones. C’est étrange de dissocier ainsi la voix du corps, l’échange entre l’actrice et les chanteurs s’avérant très riche. Il s’agit aussi d’un principe d’accélération pour ne pas perdre le rythme dans les dialogues, la virtuosité de la comédienne faisant passer énormément de choses. J’ai déjà beaucoup travaillé avec Anne, et je savais ce que je pouvais lui demander.


Quels ont justement été vos choix pour la réécriture des textes parlés ?


J’ai conservé de nombreux dialogues de la pièce de Meilhac et Halévy, Le Réveillon, ces textes d’origine possédant davantage de saveur que ceux du livret. J’ai également fait quelques arrangements en gardant l’esprit de la langue des auteurs, en simplifiant certains passages, ou en choisissant de raconter des informations importantes, sans que l’on n’y perde grand-chose.


Comment travaillez-vous avec le chef Claude Schnitzler dans l’articulation entre la musique et le jeu ?


La collaboration est très facile. Claude connaît bien en effet le théâtre et se montre sensible à la qualité du jeu, partageant au cours du spectacle des moments de complicité avec Anne Girouard. Nous avons également ajouté du texte parlé sur la musique, comme dans le mélodrame.


Qu’est-ce qui vous touche le plus dans ce répertoire de l’opérette et de la comédie musicale ?


La vitalité de ce répertoire me saisit et me rend fondamentalement joyeux, par de formidables moments de partage avec le public. J’adore la légèreté de La Chauve-Souris et ce pouvoir d’enchantement par la musique, le chant et la danse, même si l’on sait que ce n’est pas vrai.



Entretien réalisé par Christophe Gervot (2023)

Angers Nantes Opéra