Entretien avec Louise Vignaud, metteuse en scène et Robin Melchior, compositeur

« Ces œuvres du passé nous permettent de mieux penser notre aujourd’hui. »


Monter Zaïde de Mozart est toujours une expérience un peu particulière, car il s’agit d’un opéra inachevé. Mais cette production se distingue encore par sa volonté d’en proposer une relecture qui en ferait un opéra « complet » : la metteuse en scène Louise Vignaud et l’autrice Alison Cosson ont revisité le livret, tandis que le compositeur Robin Melchior s’est attaché à combler les lacunes de la partition.

 

Dans quel esprit cette relecture de Zaïde de Mozart devait-elle se faire ?


Louise Vignaud : L’idée était de s’emparer de cette œuvre, et de la rendre au public. Il fallait donc trouver le bon chemin pour y entrer. À vrai dire, l’histoire originelle, qui fait appel à l’imaginaire du harem, des esclaves, de l’orientalisme, m’a semblé rapidement très complexe à traduire sur un plateau aujourd’hui, la réécriture totale du livret (ce qui est parlé et non chanté) s’est alors rapidement imposée.


Robin Melchior : Compléter cet opéra ina­chevé a nécessité la composition d’un pré­lude accompagnant la narration d’ouver­ture, d’un interlude au début de l’acte 2 et d’un finale chanté à quatre voix. C’est cette dernière partie qui a été pour moi le plus grand défi car elle m’a obligé à me plonger dans l’écriture vocale de Mozart ainsi que dans le rythme et la mélodie de la langue allemande, afin que ce nouveau chant demeure cohérent avec le reste de l’œuvre.

 

L’énorme avantage d’une œuvre inache­vée, c’est l’ouverture qu’elle offre.


L. V. : En effet, et, dans le même temps, c’est « dangereux » car l’on risque de transformer l’essence même de l’œuvre. Je me suis donc attachée à la raison de son écriture. Et je me suis d’abord tournée vers Mozart : ses correspondances, Mozart et le silence de Clément Rosset et des biographies. Ce qui a fait émerger trois éléments. 

Tout d’abord, Mozart cherchait avec Zaïde à écrire un opéra « sérieux », c’est-à-dire philosophique. Selon plusieurs études, dans le livret dit original, le sultan décide finalement de rendre la liberté à Zaïde, Gomatz et Allazim. Zaïde propose ainsi une leçon d’humanisme. 

Ensuite, il y a la notion d’expérience, induite par la pensée franc-maçonne de Mozart. Notion que l’on retrouve dans les récits ou les pièces des XVIIIe siècles français ou allemand, chez Marivaux, Montesquieu, Voltaire ou Lessing. Il y a ce plaisir d’obser­vation de l’autre, de mise à l’épreuve. 

Enfin, il y a l’idée d’orientalisme : elle m’a semblé intéressante en ce qu’elle pro­posait aux spectateurs du XVIIIe siècle un ailleurs, une civilisation qui fascine, un fantasme. Mais rien n’y fait référence dans les textes chantés. C’est donc plus large­ment le senti­ment de distance que j’ai retenu. Un monde lointain, où d’autres possibles peuvent advenir.

De là, nous avons, avec Alison Cosson, réécrit une histoire qui s’apparente à un conte philosophique. L’histoire de trois jeunes gens recueillis et élevés sur une île à l’écart de tous par un esprit, Inzel, jusqu’à l’arrivée d’un autre, Gomatz, qui va perturber cette organisation.

 

Concernant la composition, quelle arti­culation trouver entre la parti­tion de Mozart et les nouvelles sections : r­up­ture esthétique ou dialogue entre les siècles ?


R. M. : Plutôt dialogue entre les siècles. Je n’ai pas la prétention de pouvoir écrire du « faux Mozart », ni d’ailleurs l’envie. Par contre, m’inspirer du style du compositeur pour écrire une nouvelle musique qui entre en résonance avec l’œuvre d’origine, voilà qui me semble faire sens, d’autant plus que l’histoire est ici transposée à un tout autre contexte, autorisant une certaine liberté dans la composition.

 

Comme d’autres opéras de Mozart, cette œuvre a des résonances contem­poraines très fortes : féminisme, ac­cepta­tion des différences entre les cultures et les religions… Avez-vous à cœur de les mettre en avant ?


L. V. : Bien entendu ! Ces œuvres du passé nous permettent de mieux penser notre aujourd’hui. Dans la version que nous proposons, il est question de se laisser surprendre par le naufragé et d’accepter de voir autrement le monde. Un propos très contemporain. En ce qui concerne Zaïde, c’est elle qui donne son nom à l’opéra : il était donc important que ce personnage et ses désirs soient moteur dans l’intrigue, et de mettre en valeur la force de son caractère émancipateur.


R. M. : Ces valeurs et ces combats sont pour moi fondamentaux : en 2018, j’ai écrit une pièce pour octuor de violoncelles intitulée May 25, en référence à la date, cette même année, de la légalisation de l’avortement en Irlande. Indépendante et maîtresse de son destin, Zaïde est un personnage qui m’inspire.


Propos recueillis par Jérémie Szpirglas (2022)

Angers Nantes Opéra