Entretien avec Othman Louati, compositeur et Johanny Bert, metteur en scène


À l’occasion de la création des Ailes du désir, le compositeur Othman Louati et le metteur en scène Johanny Bert reviennent sur la dramaturgie du projet, leurs processus de composition musicale et scénique et leurs souhaits liés à cette production. 


Vous travaillez tous deux depuis le départ à la conception de l’opéra Les Ailes du désir, inspiré du film de Wim Wenders : que vous raconte l’histoire ?


Othman Louati : Pour moi, Les Ailes du désir raconte la manière de retrouver dans la catastrophe, dans un univers en péril, une forme de fascination pour l’existence et de désir pour embrasser le monde. On avait le choix de délocaliser le contexte du film, mais on a décidé de garder la ville de Berlin, le mur dans un pays qui se relève à peine de la catastrophe. Dans cette dureté, il s’agit malgré tout de faire émerger un désir de lumière. C’est ce que j’ai essayé de trouver dans la musique : une ampleur pour réenchanter le monde, lui redonner de la sensualité.

Johanny Bert : Il y a un aspect monumental dans ce film, celui d’une Europe en reconstruction et, à côté, une rencontre amoureuse que je trouve très opératique. Cette amplitude est très belle. En travaillant, nous avons trouvé des parallèles à creuser entre notre époque et le Berlin de l’immédiate après-guerre : la blessure est encore là, la question des murs et des séparations reste. Il y a finalement un aspect politique que je n’avais pas saisi à ce point, mais qui intuitivement me semblait intéressant. Au moment où j’ai revu le film de Wim Wenders, ma première intuition a été d’en faire un opéra et de faire se rencontrer des chanteurs et des marionnettes pour raconter cette histoire.


Comment écrire cette histoire pour des chanteurs ?


O. L. : J’ai écrit les lignes vocales en pensant aux interprètes du projet tout en essayant de caractériser les rôles au maximum. Le rôle de Damielle a été conçu pour Marie-Laure Garnier, pour son immense tessiture, avec de nombreux sauts d’intervalles qui préfigurent la chute de l’ange. Cela donne une ligne expressionniste, mais avec une volonté de rendre le livret toujours intelligible. L’autre ange, Cassiel, est incarné par Romain Dayez. C’est un baryton lyrique et, en même temps, il y a quelque chose de léger dans sa voix qui se marie très bien avec le médium de Marie-Laure Garnier. Pour le vieux rescapé chanté par Olivier Gourdy, je souhaitais une voix de baryton-basse pour porter une douleur et notamment les souvenirs terribles de la Shoah. Il y a ensuite Peter, l’ancien ange espiègle et joyeux de Benoît Rameau qui nous aidera à retrouver la trace de Marion, interprétée par Camille Merckx, dont la voix rare permet de dessiner une créature androgyne, de cuivre et d’argent. L’enfant de Shigeko Hata aux accents ravéliens répond à la voix profonde et mélancolique de sa mère interprétée par Floriane Hassler. Ces deux voix fusionneront à la fin de l’œuvre pour incarner une réminiscence psychédélique et sensuelle de Nick Cave. J’ai donc cherché à distinguer clairement chacun des personnages pour fluidifier le transfert des marionnettes aux humains.


Comment se fait le lien entre chanteurs et marionnettes ?


J. B. : Le travail est assez singulier pour les chanteurs, parce que pendant une grande partie de l’œuvre, ils n’incarnent pas directement les personnages. C’est comme si, à quatre corps humains, ils devaient donner vie à un corps de bois et de mousse. Pour les chanteurs, il y a une forme d’humilité et une forme d’engagement. Et pour les marionnettistes, c’est pareil, car ils ne font jamais entendre la voix de la marionnette. Tout cela fonctionne uniquement lorsque les quatre sont dans une écoute parfaite. Dans le travail, on se pose tout de suite la question de ce qui donne l’impulsion : est-ce la parole ou le mouvement ? Pour moi, c’est aussi ça le spectacle vivant : vivre le collectif pour transmettre une toute petite sensation.


Que signifie pour vous écrire un nouvel opéra ?


J. B. : Depuis le début du projet, la scénographie, les costumes, la réalisation des marionnettes, tous les aspects ont été très liés. J’avais envie de faire un opéra de cette manière, avec une pensée globale. Je crois beaucoup à la réflexion commune pour discuter de la place de la musique, de la voix et du scénique. Cela rend l’expérience très riche.

O. L. :  Ce qui m’intéresse dans l’opéra, c’est l’expression d’une totalité, qui ici passe par les marionnettes. Le médium que j’utilise est la voix lyrique, c’est ce qui reste vraiment de l’opéra : la mise en musique d’un poème par le lyrique. Mais nous sommes avant tout des créateurs et des créatrices de 2023, les anciennes barrières esthétiques doivent elles aussi tomber, c’est le drame qui dicte. Dans un monde où les formes et les esthétiques sont éclatées, le drame nous aide à trouver les réponses sans tabou. Personnellement, je n’ai pas peur de la rupture esthétique, d’aller vers du post-rock, de la musique de cirque, de l’opéra-comique et d’écrire de grands airs. Quel que soit le cadre, le but est de faire appel à un inouï au service du drame. 



Entretien réalisé par Raphaëlle Blin (2023)

Angers Nantes Opéra