Entretien avec Silvia Paoli, metteuse en scène


Du drame historique de Victorien Sardou, le compositeur de Tosca, avec ses librettistes, n’a conservé que l’essentiel : ces trois héros qui courent à leur perte, dans un scénario et un environnement qui, pour Silvia Paoli, doivent s’effacer derrière eux.

 

Vous souvenez-vous quand vous avez entendu Tosca pour la première fois ?


Silvia Paoli : Tosca est peut-être l’œuvre dont j’ai le plus entendu parler quand j’étais enfant. La tante de mon père, épouse de la basse Ugo Novelli, nous racontait tout le temps des histoires à mon cousin et à moi. Elle aimait tout particulièrement Puccini, sans doute fascinée par ses personnages féminins. Je me souviens que Tosca m’a beaucoup effrayée, parce qu’à travers Scarpia, c’était ma première rencontre avec un vrai « méchant ».

Il faut dire que, pour les amateurs d’opéra, les représentations de Tosca constituent un réservoir sans fin d’anecdotes et autres accidents : Tosca qui ne trouve pas le couteau et essaie d’étrangler Scarpia, les gardes qui, pour respecter à la lettre les instructions du metteur en scène de « toujours suivre Tosca », sautent dans le vide avec elle… Cette œuvre est aussi pour moi inextricablement liée à l’interprétation magistrale qu’en a donnée Maria Callas.


Quelles pistes explorez-vous pour mettre en scène cet opéra si souvent représenté ?


Il me semble que Tosca est une œuvre dans laquelle l’économie des moyens de la musique, la concision du livret qui va à l’essentiel, sont évidentes : par rapport à la pièce de Victorien Sardou, la dimension historico-politique est fortement réduite, les personnages chantent leurs passions, leurs aspirations, ils se chantent eux-mêmes. L’Histoire officielle intervient comme scénario, comme cadre dans lequel se développent et s’entrelacent les histoires privées. L’idée n’est donc pas de focaliser l’attention sur l’historicité du drame mais, au contraire, sur l’universalité des passions qui sont en jeu. Je pense que cette épure qui touche l’écriture doit être transposée au niveau de la mise en scène. Je ne crois pas que la surabondance de fioritures, la tentative de reproduction réaliste des espaces du drame contribuent à soutenir l’action. Le livret et la musique sont si efficaces qu’il n’y a pas besoin de les souligner. J’imagine un espace qui laisse les interprètes comme seuls et véritables protagonistes.


En regardant les premières inspirations visuelles que vous avez communiquées aux équipes de l’Opéra, il m’a semblé que votre lecture se centrait sur le corps des interprètes et des personnages…


Oui, en réfléchissant au livret et à l’histoire, il me semble que le corps est au centre de l’attention : le corps désire, le corps torture, le corps en fuite, le cadavre que l’on croit vivant. L’amour entre Cavaradossi et Tosca est profondément sensuel, charnel – dans l’air du troisième acte, Cavaradossi rappelle les doux baisers et les caresses languissantes –, Scarpia tire sa jouissance de la torture et de la violence sur les corps, le deuxième acte se termine par le cadavre de Scarpia, le troisième avec celui de Cavaradossi et la fuite de Tosca… Cette centralité du corps nous conduit nécessairement à synthétiser l’espace pour faire ressortir l’humain et le raconter dans toute sa fragilité : la précarité de l’être, le mal qui ne laisse aucune issue, le pouvoir corrompu.


Vous avez également dit que votre Tosca pourrait tout aussi bien s’intituler Scarpia tant il en est le personnage principal de votre projet…


Le personnage de Scarpia s’impose dans l’opéra dès les premières notes : les accords initiaux a tutta forza introduisent son leitmotiv bien avant qu’il n’apparaisse sur scène. Musicalement, il est présent jusqu’à la fin : au troisième acte, il est physiquement absent mais il continue de hanter le drame et d’influencer l’action. Les derniers mots de Tosca lui sont adressés. Il est le moteur de l’histoire et un exemple de pur mal. Porteur d’un érotisme pervers et sadique, son action ne trouve aucune justification politique : il se dévoue tout entier à son intérêt personnel, a sa vie privée, a la poursuite de son bon plaisir qui consiste à tirer de la joie de la souffrance des autres. Il souille tout ce qui est à sa portée. C’est un satyre fanatique, l’incarnation même de l’abus de pouvoir, ce pouvoir qui ne semble jamais lui suffire. C’est précisément la pureté de ce mal qui fait de lui un personnage dramatique d’une grande cohérence. 



Propos recueillis par Simon Hatab, reproduits avec l’aimable autorisation de l’Opéra national de Lorraine.

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