Pour son ultime ouvrage, créé en 1862 à Baden-Baden, Hector Berlioz trouve sa source dans l’une des pièces les plus gaies de William Shakespeare, dont les personnages sont sublimés par une musique traquant les mouvements du cœur sur des images de fête.
L’œuvre de Shakespeare traverse la vie et l’itinéraire artistique de Berlioz qui éprouva, en septembre 1827, un éblouissement en assistant à la première représentation d’Hamlet donnée par une troupe londonienne au Théâtre de l’Odéon. Il ressentit alors une émotion indicible en découvrant dans le rôle d’Ophélie l’actrice Harriet Smithson, qu’il devait épouser en 1833. Le compositeur écrivit ensuite dans ses mémoires, « Shakespeare, en tombant sur moi à l’improviste, me foudroya ». Son dernier opéra témoigne une nouvelle fois de sa passion pour le dramaturge anglais, dans une variation sur le trouble amoureux.
Alors que Les Troyens, son précédent ouvrage, s’achève sur les mots désespérés de la reine de Carthage abandonnée par Énée, « Je vais mourir », Béatrice et Bénédict s’impose d’emblée comme une comédie lumineuse et festive, magnifiant la confiance et l’attente exaltée au premier air d’Héro, « Je vais le voir », la ferveur des retrouvailles dans celui de Bénédict, « Ah ! Je vais l’aimer ! ». Béatrice se veut malgré tout lucide et maîtresse du jeu, égarée dans un amour qui n’ose dire son nom. Les intermittences du cœur des deux protagonistes évoquent celles des quatre amoureux du Songe d’une nuit d’été, entre résistance et abandon. L’ineffable duo de la fin du premier acte, « Nuit paisible et sereine », affirme pourtant la magie de l’instant sur des notes suspendues : c’est avec grâce et légèreté que Berlioz, à la manière de Verdi dans Falstaff, quitte la scène.
Livret du compositeur, d’après Beaucoup de bruit pour rien, de William Shakespeare
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